“A l’ouest d’Eden”, Alexandre Mitchell, 2024 (50 x 70 cm, encre de Chine)

Qui ne connait pas la chanson reggae On the rivers of Babylon ? Elle est inspirée d’un psaume biblique (137:1-4) sur les Juifs dévastés arrachés à leur royaume de Judah et déportés à Babylone, en Mésopotamie (le pays entre les fleuves), au début du 6e siècle avant notre ère.

Au bord des fleuves de Babylone, nous nous sommes assis et nous avons pleuré en nous souvenant de Sion. C’est là que nous avons accroché nos harpes aux saules, car ceux qui nous emmenaient en captivité nous demandaient un chant ; ceux qui nous avaient spoliés nous demandaient d’être joyeux, en disant : « Chantez-nous un des chants de Sion ». Mais comment chanter le chant du Seigneur en terre étrangère ?

Le titre du tableau, À l’ouest de l’Éden, symbolise les Juifs contraints une nouvelle fois à l’exil, mais cette fois de Babylone. Après avoir vécu pendant plus de deux millénaires à Babylone/Bagdad, ils ont été contraints de quitter les terres situées entre le Tigre et l’Euphrate à la fin des années 1940. En 1951, il ne restait pratiquement plus de Juifs en Irak.

Le 1er juin 1941, l’ancienne communauté juive de Bagdad a été sauvagement attaquée par une foule de partisans arabes pro-nazis qui ont déferlé sur la ville en toute impunité et avec la complicité de la police pendant deux jours, jusqu’à ce que l’armée britannique daigne enfin entrer dans la ville pour rétablir l’État de droit. Cet événement tristement célèbre est appelé Fahrud, ce qui signifie « dépossession violente » ou « pogrom » en arabe. Les maisons et les commerces juifs ont été pillés et des hommes et des femmes sans défense ont été attaqués dans le but de les tuer. 128 hommes et femmes de tous âges ont été assassinés en deux jours, plus de 600 ont été blessés et un nombre indéterminé de femmes ont été violées. Dans la foulée, des centaines de Juifs ont fui vers l’Iran, le Liban ou la Syrie où ils avaient de la famille. Mais la plupart sont restés à Bagdad, Bassorah et dans les nombreux villages irakiens, car ces Juifs n’avaient pas d’autre patrie que l’Irak.

En raison de l’immense traumatisme causé par le Fahrud, même les Juifs de Bagdad les plus influents, dont les ancêtres remontaient à plus de mille ans, voire deux mille ans, considéraient désormais leurs voisins arabes avec crainte et méfiance.

En 1951, trois ans seulement après la création de l’État d’Israël (le 14 mai 1948), 135,000 Juifs irakiens ont été contraints à l’exil, n’ayant d’autre endroit où aller qu’en Israël. Ils durent rendre leur passeport irakien pour ne jamais revenir, renoncer à tous leurs biens et n’eurent droit qu’à une seule valise par personne. Ils avaient vécu à Babylone/Bagdad pendant plus de mille ans avant la naissance de Mahomet et ont été expulsés d’Irak comme des vagabonds.

Comble de l’ironie, c’est le souverain babylonien Nabuchodonosor II qui les avait initialement amenés à Babylone. Il avait détruit le premier temple juif de Jérusalem et capturé la majeure partie de l’élite du royaume de Judah au début du 6e siècle avant notre ère. Il déplaça la population dans l’espoir qu’en l’espace d’une ou deux générations, les Juifs cesseraient d’être une exception rebelle et deviendraient de fidèles serviteurs de l’empire. Il s’agissait d’une pratique normale lorsqu’on avait affaire à des peuples belliqueux au sein de grands empires. La captivité babylonienne dura jusqu’en 538 avant notre ère, date à laquelle Cyrus le Grand leur permit de retourner dans leur royaume de Judah et leur fournit même suffisamment de fonds pour reconstruire leur temple. Mais une partie de la population juive choisit de rester à Babylone, car c’était désormais leur patrie. Ils sont restés et ont prospéré. C’est là que sont nés le Talmud et tous les grands sages de l’Antiquité. Certains des plus grands livres d’érudition hébraïque ont été produits en Irak. Ils ont assisté à la croissance et à la chute de tous les empires, néo-babyloniens, achéménides, grecs, romains, parthes, sassanides, arabes, ottomans, britanniques, et ont activement contribué à la construction de l’indépendance de l’Irak en 1932.

L’invasion de l’Irak par les Arabes au VIIe siècle et l’islamisation du pays ont eu d’énormes conséquences sur les minorités telles que les Juifs, les Chrétiens, les Yézidis, les Mandéens et bien d’autres encore. Elles étaient tolérées et pouvaient pratiquer leur foi dans les limites de la dhimmitude, c’est-à-dire qu’elles devaient faire preuve de déférence publique envers les musulmans, ne pouvaient pas occuper de fonctions publiques, ni témoigner contre les musulmans devant les tribunaux, et bien sûr payer un lourd tribut. En fin de compte, l’ère coloniale sous domination britannique fut une période de liberté pour toutes ces minorités.

La montée du national-socialisme en Allemagne et de son idéologie abjecte fut accueillie avec joie par certaines personnalités du Moyen-Orient qui se rapprochèrent de l’Axe soit pour contrer la puissance de l’Empire britannique au Moyen-Orient soit car ils espéraient imiter l’idéologie, les tactiques et la politique nationale d’Hitler à l’égard des juifs. Amin_al-Husseini (le grand mufti de Jérusalem dans les années 1920 jusqu’à ce qu’il soit démis de ses fonctions) était à la fois à la tête des actions anti-britanniques et pro-nazi. En 1937, il se réfugia dans l’Italie fasciste, puis s’établit à Berlin pour ses émissions radio quotidiennes pro-nazies en arabe. Il rencontra officiellement Hitler, Goebbels, et eut sa propre milice bosniaque musulmane formée par les nazis.

Le 1er mars 1944, alors qu’il s’exprimait sur Radio Berlin, al-Husseini déclara : « Les Arabes, levez-vous comme un seul homme et luttez pour vos droits sacrés. Tuez les Juifs où que vous les trouviez. Cela fait plaisir à Dieu, à l’histoire et à la religion. Vous sauverez ainsi votre honneur. Dieu est avec vous. »

Rashid_Ali_al-Gaylani, politicien nationaliste irakien pro-nazi et anti-britannique issu d’une des principales familles de Bagdad, réalisa un coup d’État militaire contre le gouvernement pro-britannique en Irak le 2 avril 1941. Il était soutenu par quatre officiers supérieurs de l’armée et par l’ancien mufti de Jérusalem, Hajj Amin al-Husayni, leader de l’échec du soulèvement palestinien (arabe). Le coup d’État pro-nazi menaçait la route britannique vers l’Inde. Le 19 avril, des unités de l’armée britannique en provenance de l’Inde ont débarqué à Bassorah, tandis que les troupes de la Légion arabe (Habforce) sous commandement britannique se déplaçaient vers l’est de l’Irak depuis la Transjordanie. Fin mai, le régime irakien s’effondre et ses dirigeants s’enfuient. Le roi Fayçal est rétabli sur le trône, mais les Britanniques ne veulent pas donner l’impression de prendre parti dans la politique intérieure et l’armée n’entre donc pas à Bagdad. C’est à ce moment-là qu’Al-Kailani et al-Husayni intoxiquèrent l’esprit des perdants en leur racontant que les Juifs constituaient une véritable cinquième colonne et qu’ils avaient aidé les Britanniques à gagner, ce qui conduisit au Fahrud, les horribles pogroms des 1er et 2 juin 1941.

Le tableau représente une valise, car lorsque les Juifs ont été contraints de partir, ils n’avaient droit qu’à une valise par personne. La femme dans le cadre est Renée Dangoor, une jeune et belle juive Baghdadi couronnée Miss Baghdad en 1946. Peut-on imaginer une telle chose aujourd’hui ? L’homme dans l’autre cadre, en tenue de cérémonie, est Sir Sasoon Eskell, un célèbre homme d’État juif qui contribua essentiellement à la création de l’État moderne d’Irak. En dessous, une photo d’un livre sur les érudits juifs, car il y a eu tant d’érudition pendant 2 500 ans. Derrière tout cela, une vue de la Tour de Babel – Etemenanki (en akkadien), inspirée par le travail de reconstruction du savant allemand Robert Koldewey responsable des fouilles de Babylone de 1899 à 1917.
Caché, tout en haut, aussi noir que son âme, le mufti de Jérusalem, le chef islamique des futurs Palestiniens (arabes) qui importa le nazisme au Moyen-Orient. Sa paume ouverte rappelle les empreintes laissées sur les maisons juives lors du fahrud en 1941.

La peinture rappelle à la fois que les Juifs ont été exilés de Judée en 597 avant J.-C. (ou 586 avant J.-C.) à Babylone et que 135,000 Juifs irakiens furent contraints de retourner en exil à la fin des années 1940. Ils avaient vécu dans ce pays pendant près de 2 500 ans.

Illustrations

Gallerie (1) Babylone, Babel-Etemenanki, Jéhu devant Shalmanazar III, Tablette en akkadien sur les juifs de Al-Yahudu (Babylone), Bol d’incantations araméen/mandéen.

Gallerie (2) Les juifs en Iraq

Gallerie (3) Mufti de Jérusalem, avec Adolf Hitler, avec ses troupes Bosniaques musulmanes formées par les SS

Gallerie (4) Le Fahrud, les immigrés baghdadi juifs dans l’avion pour Israël